Féminisme (s): soeurs mais pas trop

Au lendemain de la grande grève des Femmes, je n’ai toujours pas pu m’ôter de la bouche le goût aigre laissé il y a déjà quelques semaines de cela par la dernière hystérie en date : le hijab Decathlon. J’entends d’ici la question  » Mais pourquoi ramener cette belle lutte universelle à un simple moment ?  » Pour la simple raison qu’alors que le combat féministe se veut universel, il fait souvent preuve d’universalisme.

 

Féminisme eurocentré?

A grand renfort de slogans du type  » NOUS SOMMES TOUTES DES FEMMES « , le féminisme eurocentré avance avec des œillères et se plait à reproduire des systèmes de domination (notamment coloniale) et de préservation des privilèges propres à toute entité dominante. L’opinion des femmes voilées elles-mêmes a-t-elle été portée auprès du grand public ? Combien de sœurs féministes ont-elles dénoncé le vol de la narration et l’infantilisation subie par ces femmes ? Nous n’avons entendu que bien trop peu de voix non racisées se lever et protester contre cette deuxième violence qu’est celle de la confiscation de la parole. De manière générale les personnes concernées ne sont-elles pas les plus légitimes pour s’exprimer et avoir un avis éclairé sur une question les concernant ?

Patte blanche

Force est de constater qu’en rentrant dans le féminisme occidental mainstream il faut presque toujours montrer patte blanche. C’est ainsi que l’on somme les femmes portant le hijab de faire part de leur position sur l’avortement ou encore les femmes afro-descendantes d’exposer leur rapport à l’homosexualité ou à l’égalité femme-homme. Bref, il leur est quasiment demandé de passer des concours d’entrée dans les mouvements euro-féministes et de convenir aux dimensions du moule, ce carcan ethnocentré qui gomme unilatéralement les appartenances diverses et les identités multiples !

La lutte contre le patriarcat ne saurait supplanter celle contre les oppressions structurelles de classe, de race, de convictions religieuses et de rapports économiques. Demander l’égalité salariale avec les hommes et dans le même temps faire fi du fait que des emplois précaires et faiblement rémunérés sont majoritairement occupés par des femmes racisées et/ou paupérisées, participe à la reproduction d’un système d’oppression bien rodé.

Hiérarchisation des luttes

Cette hiérarchisation des luttes s’inscrit dans la droite ligne des codes déjà institués au moment des mouvements sociaux pour le droit de vote de tous les hommes en Europe. Au même titre que les hommes s’étaient alors permis de dire aux femmes que leur cause pouvait attendre, de même aujourd’hui des féministes européennes, et bien souvent issus de classes privilégiées et/ou dominantes, ne voient pas en quoi il faudrait prêter autant d’attention aux luttes des minorités. Il faut se souvenir que la place des femmes dans les sociétés africaines précoloniales était nettement meilleure qu’elle ne l’est aujourd’hui, en raison notamment d’une avance prise par les luttes pour les droits des femmes dans ces sociétés. Le féminisme eurocentré n’a donc parfois rien à apprendre de nouveau aux femmes racisées.

Le féminisme mainstream se croit mieux à même de comprendre les tribulations de toutes les femmes du monde, voire de trouver la manière de solutionner un problème parfois non diagnostiqué comme tel par les premières concernées.

Intersectionnalité

Du fait notamment des constats susmentionnés, l’afro-féminisme, l’asio-féminisme et le féminisme islamique (le féminisme intersectionnel en général) sont très souvent en rupture avec le féminisme eurocentré. Un féminisme petit bourgeois qui exclue des espaces de conception et de direction, quasi systématiquement, les minorités telles que : les femmes précarisées, les femmes handicapées, les femmes issues de la communauté LGBTQ et bien entendu les femmes racisées.

C’est le propre du féminisme intersectionnel que de trouver l’essence de son combat dans le croisement des oppressions multiples et simultanées : la nécessité de les penser ensemble dans leur articulation. Sans une refonte profonde de son paradigme et un changement radical de sa grille de lecture, le féminisme mainstream est voué à une extinction certaine. Car dans cette société nous ne sommes décidément pas toutes femmes, qu’on se le dise.

Le féminisme sera intersectionnel ou ne sera pas !

Stéphanie Ngalula,

Responsable Cellule Afro-féminine

Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations

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