Combattantes et combattants de la mémoire aujourd’hui victorieux, nous vous saluons au nom des associations afro-descendantes co-organisatrices de la présente cérémonie.
A vous toutes et à vous tous qui avez lutté sans relâche pour la mémoire de cet illustre Congolais, cet illustre Africain et Homme d’Etat, Patrice Emery Lumumba, nous demandons de faire de ce 30 juin 2018, une date tout aussi illustre que le 30 juin 1960. Une date symbolique que vous garderez ineffaçablement gravée dans vos cœurs, pour ce Square Lumumba dont vous enseignerez à vos filles et vos fils, toutes origines confondues, la signification profonde.
Ce Square, s’il est dénommé aujourd’hui Lumumba, c’est par la lutte qu’il a été obtenu, une lutte de tous les instants, une lutte citoyenne, pour laquelle plusieurs activistes, militants, simples citoyens ont donné de leur temps, de leur argent, de leur énergie physique et intellectuelle. Nous n’avons ménagé aucun effort, sous les pluies parfois endurées tous les 17 janvier et 30 juin depuis plusieurs années sur une autre place non loin d’ici, pendant les marches, sit-in, pétitions et interpellations du conseil communal de la Commune voisine de 1000 Bruxelles. Là, juste à quelques centimètres.
Cette lutte pour l’obtention de ce Square Lumumba est pour nous une lutte noble et juste, indispensable pour commencer à mettre fin à une histoire belgo-africaine tronquée par l’idéologie colonialiste qui anime encore hélas plusieurs esprits rétrogrades en cette ère du multiculturalisme et des identités plurielles.
Après le 24 mai 2018 à Charleroi, nous voici donc le 30 juin 2018 à Bruxelles. 30 juin 1960 – 30 juin 2018 : que s’est-il passé, pour que les autorités politiques belges qui hier ont voué Lumumba et ses compagnons aux gémonies, consentent aujourd’hui, à les honorer en conférant son nom à ce Square ?
Il s’est passé que les descendants de ces Congolais patriotes, les fils et petits-fils de Lumumba et de ses pairs, sont aujourd’hui des Belges à part entière et que l’histoire glorieuse de la lutte des Congolais pour la liberté est devenue, dans ce contexte, une partie de l’histoire du peuple désormais multiculturel belge. Elle est devenue « notre histoire », à nous Belges nés en Belgique, autochtones et Afro-descendants.
Longtemps orientée dans un seul sens, l’histoire du fait colonial racontée en Belgique a toujours été celle du vainqueur de ce féroce conflit économico-politico-culturel entre la puissance coloniale et les peuples colonisés. Et cette histoire a produit, entre les indigènes belges et les expatriés congolais et plus largement africains, des relations profondément imprégnées de mépris, de négation, de complexes dans les deux sens, de discriminations, bref de racisme. Et c’est à cause de la réminiscence, autant dans l’imaginaire collectif que dans certaines politiques publiques, de ces relents de racisme issus du passé, que les discriminations et la négrophobie sont encore très présents dans notre société.
Aujourd’hui encore, nous connaissons des refus de logement, d’embauche, le plafond de verre dans l’avancement des carrières, les insultes racistes, parce que nous sommes des nègres.
Aujourd’hui encore, nous connaissons la condescendance voire le mépris de certaines personnalités politiques vis-à-vis des Africains. Nous connaissons les discours aux relents xénophobes et racistes que distillent certains ministres du gouvernement actuel, discours qui réduisent les migrants parmi lesquels de très nombreux Africains, au rang des sous-hommes.
Nous connaissons, à travers les rapports des institutions comme UNIA, mais aussi par le travail de terrain des associations comme le MRAX, ou Europe Belgium Diversity (EBD), que ces actes de racisme anti-Noir ne baissent pas, bien au contraire.
Et sur le plan international, nous connaissons avec quelle manière subtile mais économiquement très agressive, les richesses du Congo et plus largement de l’Afrique sont aujourd’hui exploitées, à coup de complicités ou de chantage politiques, pour continuer le projet colonial impérialiste d’enrichissement des néométropoles au détriment des néocolonies, plongeant les populations dans une violence économique, qui elle-même engendre des violences politiques et sociales, et poussent les peuples, sans hésitation, sur les routes de l’exil.
Et nous savons enfin que le combat et le destin tragique de Lumumba, et de ses compagnons Mpolo et Okito, prennent ici tout leur GFAIA :
sens.
Oui ! Lumumba, Okito et Mpolo ont été assassinés pour que perdure le projet colonial impérialiste occidental sur le Congo, à savoir, faire de ce gigantesque pays, un réservoir de matières premières précieuses et faire de son peuple, un peuple non existant, sinon comme simple consommateur des biens transformés en Occident. Ce pays que Lumumba et les autres pères de l’indépendance ont sorti de l’oppression coloniale, a été contraint d’y retourner. Et il vit aujourd’hui dans une situation lamentable, son peuple croupit dans une misère dépassant tout entendement. Le viol, la violence, la mort violente sont devenus son quotidien.
Que s’est-il donc passé pour que nous célébrions Lumumba aujourd’hui et ici ?
Il s’est passé que nous avons tous compris que la restitution de l’autre sens de l’histoire, la décolonisation des mentalités, est devenue indispensable non seulement pour rétablir l’équilibre des faits historiques, mais également et surtout pour déconstruire l’imaginaire collectif qui nourrit au quotidien tous les racismes anti-Noirs en Belgique, du racisme ordinaire au racisme institutionnel.
C’est à cette déconstruction que nous appelle cet après-midi le Square Lumumba : à revisiter le fait colonial, à le regarder sous l’angle de vue des combattants congolais de l’indépendance, à enfin se réconcilier avec l’aspiration universelle de tout Etre humain qu’est la liberté.
C’est donc pour un mieux vivre ensemble, à Charleroi, à Bruxelles, à Mons et bientôt ailleurs, en Belgique, que l’image de Lumumba et de ses compagnons, Okito et Mpolo, nous servira. Leur humanisme, leur aspiration déterminée à la liberté, sont pour nous des balises opérantes dans les combats d’aujourd’hui.
Aujourd’hui, plus qu’hier, le Congo, l’Afrique, ont besoin de dignité, d’indépendance et moins de spoliation. Aujourd’hui encore plus qu’hier, les Africains de Belgique réclament dignité et justice dans leur vie quotidienne.
Nous remercions donc tout le Conseil communal de la ville de Bruxelles, sous la houlette de son bourgmestre M. Philippe Close, pour avoir perçu les enjeux de cette mémoire coloniale en vue d’un mieux vivre ensemble ici à Bruxelles et en Belgique, et pour permettre aux jeunes de deux pays, nés de parents africains, de retrouver leur identité et leur dignité perdues du fait des effets néfastes de l’entreprise coloniale, de sa propagande et des préjugés qu’il a distillés contre la Femme et l’Homme Noir(e).
Nous remercions aussi les alliés de la première heure, ils se reconnaîtront tous, et vous pourrez visiter leurs stands ici même tout à l’heure, dont certains nous ont précédés dans cette lutte. Cette première avancée est notre victoire à nous tous, nous ici sur ce podium et eux, vous, devant ce podium. C’est une victoire collective !!! Elle ne nous appartient pas !
C’est pourquoi nous invitons toutes et tous les progressistes africains et belges, afrodescendants ou non, toutes celles et tous ceux qui sont épris de justice sociale, à continuer à se mobiliser, et à ne reculer devant aucun sacrifice pour que l’histoire véritable de la colonisation soit enseignée et diffusée, et que les paradigmes racistes qui y ont été générés soient définitivement transformés en paradigmes de respect de l’Autre, de l’Etre humain Africain.
Notre prochain travail avec monsieur le Bourgmestre P. close sera certainement d’ériger ici une statue figurative de Lumumba avec des inscriptions traduites dans une langue africaine.
Vive Lumumba, vive Okito, vive Mpolo !
Vive le Congo ! Bruxelles ! la Belgique et Vive l’Afrique, !
Rédaction : Collectif Mémoire Coloniale & Lutte Contre Les Discriminations
Avenue de la Couronne 382, 1050 Ixelles
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