En date du 13 mars 2019, le professeur Vellut publiait dans la Libre Belgique une chronique, intitulée
« Léopold II for ever », qui n’est rien d’autre qu’un plaidoyer pour une mémoire sélective des œuvres
de Léopold II, le Roi qui pendant deux nuits, dans une colère coupable et dans une fourberie devant
l’Histoire, brûla les archives et toutes les pièces justificatives en sa possession, de ses fameuses
« œuvres » dans l’Etat dit « indépendant » du Congo.
1. Sur les traces de M. Vanthemesche
Dans son argumentaire, le professeur Vellut s’appuie entre autres sur un écrit du professeur
Vanthemesche qui aurait démontré “le caractère très hypocrite des chiffres de mortalité hors normes
qui sont brandis comme autant des faits avérés (!) de l’histoire démographique du Congo. Il s’en
prend aussi à l’absurdité et l’indécence qu’il y a à comparer les pertes dues à la conquête coloniale
avec celles, planifiées, dues aux régimes totalitaires du XXè siècle. On en vient à faire de Léopold II
un précurseur de Hitler, Staline, voire de Pol Pot (!).“.
R/-Concernant le caractère prétendument hypocrite des chiffres de mortalité « hors normes », il faut
d’abord rappeler que ce dont il est question ici, ce sont des vies humaines innocemment arrachées
sans autre motif que celui d’être nées sur leur terre ancestrale et d’y avoir vécu. Face à un si terrible
drame, qu’importe-t-il qu’une marge d’erreur, comme dans toute comptabilité macabre de ce type,
existe ? Le plus important n’est-il pas qu’il y ait des innocents, violemment et lâchement massacrés?
Nous estimons, quant à nous, que le nombre des personnes congolaises méchamment assassinées n’est
en rien hypocrite ni fallacieux. Il est par contre tout à fait hypocrite de chercher à occulter des tueries
massives bien connues en prétextant qu’il s’agit de l’hypocrisie.
C’est le lieu ici de relever, partant de cet élément d’argumentation du prof. Vellut, la perspective et la
méthodologie utilisées par son compère Vanthemesche et lui. Ces professeurs s’inscrivent dans la
lignée de la « méthode historique » alternative à l’« histoire officielle », méthode très connue dans les
stratégies négationnistes des débats sur la Shoah, l’holocauste juif. Cette méthode, contestée par de
nombreux Historiens, n’exprime ni plus ni moins qu’une idéologie « négationniste », une posture qui,
en tenant de nier ou de minimaliser les faits, nie l’Histoire tout court. A ce titre, le point de vue
exprimé par le prof. Vellut cache mal la réhabilitation de la propagande coloniale, de l’apologie des
crimes coloniaux, du racisme et en un mot, de la négrophobie.
– Peut-on donc comparer le régime de Léopold II au Congo à celui de l’Allemagne de Hitler dirigeant
la France sous Vichy, ou la Belgique ou la Pologne ? Oui, car ces deux régimes étaient des régimes
totalitaires, étrangers, bien planifiés, qui visaient à s’emparer des territoires d’autrui sous le prétexte
soit de vouloir les civiliser (dans le cas de la colonie), soit les « purifier ». La fameuse civilisation a
été tout le contraire de ce qu’elle devait être, car elle a été dans les deux cas, un flot des tueries barbares
et répugnantes, de privation de liberté et d’accaparement des richesses d’autrui, de négation de
l’Humain.
– Léopold II serait-il un grand homme, insensible et cupide ? Certainement, tout le démontre. Le
fameux contexte géopolitique et économique dans lequel s’inscrirait le projet congolais de Léopold
II, ne concerne nullement les Congolais. C’est un contexte essentiellement européen dont la visée
n’était rien d’autre que l’accaparement des richesses d’autrui et la spoliation économique en toute
illégitimité et impunité. Nous ne voyons pas en quoi Léopold II serait un visionnaire dans un projet
aussi funeste. Car il a fait comme tous les autres dictateurs qui régnaient sur l’Europe à l’époque.
2. Spéculations sur le caoutchouc.
Une première circonstance est celle de l’économie internationale du temps. Au tournant des années
1890-1900, les spéculations mondiales sur l’ivoire et, imprévues celles-ci, sur le caoutchouc ne furent
pas dues à une personne. En particulier, la course au caoutchouc spontané s’est déclenchée après
que le roi, surfant sur une vague internationale de prosélytismes, eut conçu son entreprise. La
responsabilité ultime de ce boom se niche dans les mécanismes du marché mondial […]. Les
retombées collatérales de cette spéculation capitaliste ont lourdement pesé sur l’Afrique et l’Amazonie
de l’époque. [… ] Alors comme aujourd’hui, sur les grands marchés, “la fin a justifié les moyens“.
R/ – M. Vellut nous apprend donc ici que le véritable responsable des tueries au Congo, ce sont les
spéculations (les marchés internationaux), alors que plus haut il contestait même qu’il y en ait eu et
parlait de l’hypocrisie des chiffres. Que faut-il croire ? Y-a-t-il eu ou non des tueries massives au
Congo ? La réponse surprenante de M. Vellut est étonnement oui. Alors pourquoi chercher à se cacher
derrière le paravent lacéré des « chiffres » ? Imputer à la spéculation la responsabilité des tueries au
Congo c’est comme imputer à un fusil la responsabilité de tuer, alors que ni l’un ni l’autre ne sont
responsables de rien tant qu’on ne les utilise pas. Si spéculation il y a eu, c’est bien Léopold II qui l’a
utilisée et non le contraire.
– L’entrée en jeu d’Anvers, Liverpool, Hambourg, Khartoum, Bombay, contredit les propos précédents
de M. Vellut qui affirmait qu’il n’y avait pas planification, alors que là, il confirme le contraire : de la
difficulté de vouloir défendre l’indéfendable.
– En disant que la “fin justifie les moyens et que les peuples les plus faibles ont payé cash“, M. Vellut
reconnaît explicitement ce qu’il tente désespéramment de contredire, à savoir qu’il y a eut beaucoup
de massacres, énormément des massacres. Etant donné la longue période et la rapacité des hommes
du roi Léopold, comment ne pas parler des millions de morts ? Au fait combien y-en-a-t-il eu ? M.
Vellut n’avance aucun chiffre. On peut le comprendre, il n’a pas d’arguments sérieux à présenter. Il
fait de la propagande coloniale.
3. Un acteur parmi tant d’autres
« La vaste région couverte par les bassins du Congo, […] était […] le terrain de razzias, de pillages,
de trafics, dont celui des esclaves : […].L’Etat du Congo fondé par Léopold II s’est engouffré dans
ce monde. […] Opportuniste doué, Léopold II fut un acteur parmi d’autres sur une scène historique
qui le dépassait. […], il attendit de cet Etat en construction qu’il paie lui-même sa conquête et, pour
comble, qu’il assurât un profit ! Ici encore, “la fin a justifié les moyens“.
R/ – En disant que l’Etat du Congo s’est engouffré dans le monde des razzias, de pillages, de trafics,
dont celui des esclaves, M. Vellut confirme le caractère meurtrier de ce fameux Etat et de son
commanditaire. Qu’avaient-ils à aller y faire sinon faire la même chose ?
– Il enfonce le clou en affirmant que Léopold II attendait de son fameux Etat qu’il ait payé lui-même
sa conquête. Avec quoi et comment sinon en massacrant les paisibles populations locales, les pillant
systématiquement. D’ailleurs c’est étonnant d’attendre d’une population razziée, violée, pillée,
subissant les affres des trafics multiformes dont l’esclavage, qu’elle ait été encore capable de financer
quoi que ce fut. C’est contradictoire.
4. Des souvenirs ambigus
Cependant, alors que se clôturait l’âge des spéculations, Léopold II a jeté les bases d’un âge industriel
du Congo. […] Sur les deux rives, africaine et européenne, où il planta ses projets, Léopold II laisse
des souvenirs ambigus. […]. La Belgique, pour sa part, vient d’ouvrir avec grand bruit un Musée
d’Afrique (sic). En dépit de silences embarrassés et de commentaires alambiqués, Tervueren résonne
comme une mise à jour- un reset – du rêve de Léopold II : introduire le Congo sur la scène belge.
R/ – Concernant les bases d’un âge industriel du Congo jeté par Léopold II, on peut dire la même
chose de celles jetées par Hitler en France. Cela s’est fait sans l’avis des fils du pays et même contre
eux, uniquement pour le bien des occupants.
– Quant à l’allusion au drapeau comme souvenir reconnaissant des Congolais à Léopold II, disons que
non seulement ce drapeau est d’origine esclavagiste, du sud des USA d’où était originaire Stanley,
mais que l’indépendance du Congo s’est conclue à Bruxelles sous l’égide des Belges. Il n’y a donc
jamais eu de véritable indépendance du Congo comme l’auraient voulu les Congolais. D’ailleurs ils
se battent jusqu’aujourd’hui pour une indépendance réelle comme celle de la Belgique obtenue face à
la Hollande en 1830.
– Sur le Musée de Tervueren présenté comme une présence du Congo en Belgique, nous estimons que
les objets qui s’y trouvent n’y ont pas été amené pour cette fin. Ils ont été l’objet des vols et de pillages.
C’est pour cela que le Musée de Tervueren qui se dit « africain » ne l’est que de nom. Nous attendons
qu’il y ait un inventaire exhaustif qui établira la provenance et les circonstances réelles de l’arrivée
des objets exposés en Belgique.
5. La responsabilité des congrégations
« Pensons aux missionnaires catholiques du temps, généralement conservateurs, et à leurs relais
religieux ou politiques en Europe. Que ce fût par nationalisme dynastique, par intérêt, par calcul de
ce qui leur paraissait désirable dans le long terme, les congrégations négocièrent leur silence face
aux brutalités : leur responsabilité morale fut engagée. […] En Belgique, l’aile démocratie chrétienne du milieu catholique tint bon face aux lobbies soutenus par le Roi et elle sauva l’honneur
de l’Eglise..
R/ – La question de la responsabilité des congrégations se poserait, d’après M. Vellut, par rapport à la
brutalité. Brutalité de qui envers qui ? Comment quelqu’un peut-il être responsable de la brutalité d’un
autre ? M. Vellut tourne volontairement autour du pot en voulant utiliser son statut de « scientifique »
pour justifier son manque d’arguments. Car entre les missionnaires et le roi Léopold II l’entente était
parfaite. C’est lui-même qui les avait cherchés et ces missionnaires étaient pour la plupart des Belges.
Dès lors comment faire tomber sur eux seuls la responsabilité des actes des hommes de Léopold II en
général pendant qu’ils étaient eux-mêmes ses hommes aussi ?
– M. Vellut affirme qu’il y a eu des contraintes armées exercées par l’Etat et les compagnies privées
sur de vastes régions, c’est-à-dire sur des populations bien connues qu’il tait volontairement. Quel mal
y-a-t-il à reconnaître qu’il y a eu des meurtres, des assassinats, des massacres de masse, des centaines
des milliers, des millions de morts innocents, des viols ? Ca ferait quoi de le reconnaître au lieu de
vouloir maladroitement tout justifier ?
6. Les acquis de l’histoire de l’Afrique
Aujourd’hui cependant, l’image du Congo léopoldien comme un “Etat voyou“ s’est perpétuée et elle
est régulièrement ravivée. […]En histoire, on avait dépassé, pouvait-on croire, l’explication du passé
par l’action des grands hommes. On pensait acquis que les contextes “de terrain“ et de temps étaient
indispensables à l’explication du passé. Les polémiques actuelles autour de Léopold II montrent qu’il
n’en est rien. […] le passé de l’Afrique mérite mieux que les fake news, le narcissisme bien-pensant,
voire l’ubuesque.
R/ – Concernant les contextes “de terrain“, il convient d’être juste et de ne pas attribuer le territoire
congolais à Léopold II. Sur cette base-là l’explication du passé devient clair. La colonisation belge est
une agression et en tant que telle a fait des millions de victimes.
– Enfin, M. Vellut regrette semble-t-il que l’Afrique fasse l’objet de « fake news ». Pour un historien
dont le discours, propagandiste et donc par essence pseudo-scientifique, paraît comme un vrai fake
news rempli de propagande coloniale et foncièrement raciste et négrophobe, c’est le comble de la
malhonnêteté intellectuelle.
Bruxelles, le 11 avril 2019
Pour le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations,
Evariste PINI-PINI NSASAY
(*) Droit de réponse à l’article du Professeur Jean-Luc VELLUT, publié le 13 de ce mois de mars sous le titre « Léopold
II for ever ».
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