Lettre ouverte à Madame Marie-Martine Schyns, Ministre de l’enseignement Nos programmes scolaires ne doivent pas recycler la propagande coloniale !

Madame la Ministre, l’enseignement de l’Histoire bâtit une société, une nation, un pays. Cet
enseignement donne les indications sur les contours de la société que les dirigeants d’un pays
veulent construire avec les citoyens. L’Histoire est une science, et comme on l’a vu par le passé avec
le racisme scientifique notamment, elle peut être utilisée pour chosifier, inférioriser un peuple ou
une partie de ses propres citoyens.

Madame la Ministre, le 16 janvier 2014, un arrêté du gouvernement de la Fédération Wallonie-
Bruxelles imposait de manière explicite dans le référentiel de l’enseignement de l’Histoire dans les
Humanités techniques et professionnelles, la colonisation et l’indépendance du Congo (1). Cet
enseignement étant reporté à une date inconnue pour les Humanités générales. En 2015, sur la base
de ce référentiel, l’enseignement officiel a adopté son programme. Il prévoit qu’en 4 e année, environ
13 heures soit dédiées à « la colonisation, la décolonisation » à travers l’étude des « relations entre
colons et colonisés au Congo belge » et celle du « développement du Congo et de l’Afrique Centrale
de 1885 à aujourd’hui ». Nous avions trouvé ce pas vers un enseignement de l’Histoire inclusif très
timide certes, mais positif. En effet, l’ancien programme évoquait vaguement « la décolonisation et
les disparités Nord-Sud » sans aucune référence explicite à notre propre Histoire, celle de la
colonisation au Congo, au Rwanda et Burundi.

Un examen minutieux de ces nouveaux référentiel et programme nous montre qu’au-delà de la
décision positive prise par le gouvernement, le contenu est imprégné par le paternalisme Un contenu
qui va accentuer les stéréotypes et les préjugés créés par la propagande coloniale sur les Africains,
les Afrodescendants, les Noirs, les Blancs, les Métis, etc. Nous luttons contre ces stéréotypes et
préjugés depuis des années pour construire une société ouverte. Une société qui, d’une part, regarde
son histoire en face, et qui, d’autre part, considère les êtres humains comme égaux quelle que soit
leur couleur de peau et leurs origines. Nous ne pouvons nous taire quand c’est notre propre
enseignement qui compte faire le recyclage de ces stéréotypes et préjugés déjà ancrés dans la
société. Un ancrage montré par le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le
racisme (2).

Le choix qui est fait est celui d’imposer aux professeurs d’enseigner l’histoire de la colonisation belge
seulement à partir des concepts de développement et de migration. L’une des compétences que les
élèves doivent pouvoir maîtriser est celle d’acquérir une vision critique. Or, aucune présentation
critique n’est faite de la notion controversée de développement dans ce contexte. Il n’est donc pas
étonnant de lire qu’à l’ère précoloniale, l’Africain vivait de la chasse, de la cueillette, de l’artisanat et
que c’est la colonisation qui lui a apporté la croissance économique. Il s’agit bien là d’une version
actualisée de la propagande coloniale dont ont été victimes Belges, Congolais, Rwandais et Burundais
avec une idée-maîtresse : l’apport de la civilisation aux « sauvages ». L’Afrique noire précoloniale ne
peut être réduite à cette caricature.

Par ailleurs, l’utilisation du concept de migration comme angle d’étude de l’histoire de la colonisation
par le programme est un prisme déformant, un choix politique délibéré qui s’inscrit dans les pas de la
propagande coloniale. Comment peut-on enseigner l’histoire la colonisation belge au Congo en
prenant comme outil conceptuel de base la migration des colons issus souvent du petit peuple vers le
Congo ? Pourquoi a-t- on peur de partir de la réalité historique ? Celle selon laquelle l’entreprise
coloniale fut d’abord et avant tout une entreprise capitaliste, d’exploitation humaine et des
ressources s’appuyant sur une violence inouïe ? A-t- on peur de mettre en cause les grandes
entreprises, les grandes familles bourgeoises et capitalistes, le roi Léopold II ? Peut-on être
scientifiquement juste en éludant le rôle central des trusts et des compagnies telles que l’Union

Minière du Haut-Katanga ou la Société Générale ?(3) Pourquoi justifier l’existence de la colonisation
en mettant tout sur le dos des citoyens colons qui ont migré ?
Madame la Ministre, le grand écrivain et homme politique Aimé Césaire disait dans son Discours sur
le colonialisme qu’une « civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde »(4)

Le nouveau programme analyse la société européenne et son histoire à travers des outils conceptuels
tels que l’opposition entre la dictature et la démocratie avec le nazisme comme exemple illustratif.
Ce même programme omet d’appliquer cette clé de lecture à l’État colonial belge. L’État
Indépendant du Congo et le Congo belge par la suite furent de vraies dictatures où les Congolais
étaient privés des libertés et des droits les plus élémentaires. Un régime qui était basé sur une
occupation armée de territoires arrachés de force. Un régime de ségrégation, d’apartheid, violent et
raciste. La reconnaissance récente par le Sénat de la ségrégation des Métis-ses par l’État belge en est
une preuve palpable (5). Un régime qui a commis de véritables crimes contre l’humanité. Des crimes
de masse minimisés sous les termes « abus » et « exactions ». Y aurait-il une différence ou une
échelle de valeurs entre ce que les Belges blancs ont subi du régime dictatorial nazi et ce que les
Congolais, Rwandais et Burundais noirs ont subi du régime dictatorial colonial ? Quels principes
voulons-nous transmettre à nos enfants ? Ceux selon lesquels les principes sont applicables à
géométrie variable selon qu’il s’agisse de l’Afrique et des Africains ou de l’Europe et des Européens ?
Quelle légitimité aurions-nous encore en tant qu’État démocratique à critiquer les esclavages et les
colonisations en cours dans le monde si nous passons notre temps à ruser avec les principes que
nous défendons ? La parfaite illustration de cette ruse avec les principes démocratiques se retrouve
dans un exploit réalisé par les concepteurs du programme. En effet, ils ont réussi à évincer
complètement Patrice Lumumba, personnage-clé de cette histoire, premier Premier Ministre du
Congo issu d’élections parfaitement démocratiques et assassiné. La Belgique a d’ailleurs reconnu sa
responsabilité dans cet assassinat mais on n’ose pas l’assumer. Nulle part dans le programme et dans
les référentiels, on ne trouve sa trace. Par contre, place nette est faite au dictateur Mobutu que la
Belgique a contribué à mettre au pouvoir. On préfère donc mettre l’accent auprès des élèves sur
l’œuvre d’un dictateur au détriment de celui d’un démocrate.

Madame la Ministre, face à tous ces constats qui, pour nous, relèvent du scandale, nous vous
demandons de prendre vos responsabilités. Il est plus qu’urgent que vous interveniez pour que le
programme et ses outils conceptuels soient modifiés. Il est aussi urgent si nous ne voulons pas
former des citoyens intolérants, paternalistes, emplis de stéréotypes et de préjugés négatifs sur
l’Afrique, les Africains et leurs concitoyens afro-descendants, que l’Histoire générale de l’Afrique soit
enseignée dans nos écoles. La Belgique est membre de l’UNESCO. Cette organisation réalise un
travail scientifique à travers la publication de travaux sur l’Histoire générale de l’Afrique à destination
de ses États membres depuis 1964. Le principal objectif étant de « remédier à l’ignorance généralisée
sur le passé de l’Afrique » (6). L’absence de temps au cours de l’année scolaire n’est cependant pas
une excuse valable. Nous demandons que cet enseignement de l’Histoire générale de l’Afrique,
berceau de l’humanité soit étalé de la maternelle jusqu’au secondaire. Nous demandons également
la mise à disposition d’une formation de qualité de cet enseignement à destination des professeur-e-
s d’Histoire et de Sciences humaines et sociales. En attendant la modification du programme, une
note de mise en garde doit être envoyée aux enseignant-e- s qui l’appliquent déjà.

Ce référentiel et ce programme ont été mis en place suite à des décisions politiques. Ils expriment
donc une vision politique de l’enseignement qui nous effraie d’autant plus que le Pacte d’Excellence
ne prévoit quasiment rien sur cette question. Il est de votre responsabilité de mettre l’enseignement
de ces matières en conformité avec les valeurs que ne cessent de clamer et la Belgique, et la
Fédération Wallonie-Bruxelles. L’Histoire en tiendra compte.

 

 

 

 

 

(1) Arrete du gouvernement de la CFWB du 16-01- 2014 publié au M.B. 17-04- 2014 (annexe V).
(2) Dossier de presse d’UNIA du 21 mars 2011, «Discriminations des personnes d’origine subsaharienne : le recyclage
des stéréotypes », http://unia.be/files/Z_ARCHIEF/Dossier%20de%20presse%202
(3) Joye et R. Lewin, Les trusts au Congo, Société populaire d’éditions, Bruxelles, 1961
(4) Aimé Césaire, Discours sur le colonialisme, Paris, Présence africaine, 1955 (1 re  éd. 1950)

(5) Assumani Budagwa, Noirs-Blancs, Métis – La Belgique et la ségrégation des Métis du Congo belge et Ruanda-Urundi ( 1908 – 1960), Bruxelles 2014, préface de Colette Braeckman

(6) http://www.unesco.org/new/fr/social-and- human-sciences/themes/general- history-of- africa/

Pour le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations (CMCLD),
Achaiso Ambali (Co-coordinatrice)
Fontaine Atchikiti (Co-Coordinateur)
Maximin Emagna (Président Europe Belgium Diversity, Administrateur MRAX)
Moïse Essoh (Administrateur Moja)
Yves Lodonou (Afrique Autrement, Rédacteur en chef Sous l’Arbre À Palabre)
Malamine Fadiaba (Historien, animateur CMCLD)
Evariste Pini-Pini Kentey Nsasay (Écrivain, Essayiste, Conférencier, CMCLD)
Kalvin Soiresse (Enseignant, CMCLD)
Contact : 0483757144 – memoirecoloniale@gmail.com

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